Stéphane est agent d’accueil au Refuge depuis près d’un an. Il nous parle d’un métier qu’il a découvert il y a quelques années après un tout autre parcours professionnel. Un métier qu’il aime et qu’il exerce avec conviction. Un métier où « il suffit de petits riens pour venir en aide à quelqu’un… »
Peux-tu me décrire ce que recouvre un poste d’agent d’accueil au sein du Refuge ? Quel est ton rôle ?
L’accueil, c’est le lieu où tout se passe. Notre rôle c’est d’accueillir, d’orienter, d’apporter des réponses, d’encadrer, d’organiser et d’apaiser parfois… On fait aussi le lien avec les autres équipes, on est au centre de la vie du Refuge.
De façon plus informelle, notre rôle est également d’être dans l’échange et la discussion avec les personnes hébergées ici.
Depuis combien de temps travailles-tu au Refuge ? As-tu exercé le métier d’agent d’accueil dans d’autres structures auparavant ?
Je suis arrivé au Refuge de La Mie de Pain en mai 2013, il y a moins d’un an donc.
Mais le métier d’agent d’accueil, j’aime aussi employer le terme « d’accueillant », c’est un métier que je connaissais déjà.
Auparavant, j’avais notamment travaillé à La Croix-Rouge dans un centre d’hébergement d’urgence, ou au sein du Sleep In, un centre de soins spécialisé dans l’accueil de population toxicomane tenu par le Groupe SOS.
Je travaille depuis 2007 dans les métiers de l’accueil « inconditionnel », auprès de personnes en difficulté. J’ai choisi cette voie suite à une reconversion professionnelle. Je faisais complètement autre chose, mais suite à un accident de travail, je me suis réorienté vers ce métier d’agent d’accueil.
Comment se passe l’une de tes journées de travail ?
Il y a peu de journée type au Refuge. D’un jour à l’autre, ça peut être très différent.
Je fais partie de l’équipe du soir, c’est-à-dire que je prends mon poste à 15 heures et que je termine à 23 heures. La première des choses c’est donc de faire le point avec l’équipe du matin, de voir ce qui s’est passé éventuellement – s’il y a eu des choses importantes, et ce qu’il y a à faire. Nous avons un temps de recouvrement ensemble pour être sûr de bien partager les informations et ne rien rater.
A l’accueil, nous gérons le planning des rendez-vous internes. Les messieurs hébergés au Refuge viennent à l’accueil lorsqu’ils ont besoin de rencontrer l’aide-soignante, la psychologue ou leur référent social par exemple. Et on leur fixe un rendez-vous.
Dès que les messieurs ont une demande ou une question, ils savent qu’ils peuvent se tourner vers l’accueil. On fait le lien avec l’ensemble des équipes et des services du Refuge.
On s’assure également que les messieurs aillent bien aux rendez-vous qu’ils ont à l’extérieur, chez leur médecin pour renouveler un traitement par exemple. Notre rôle c’est aussi de le leur rappeler. Pour eux, se souvenir d’un rendez-vous qu’ils ont parfois pris longtemps à l’avance, ce n’est pas toujours évident.
Ensuite à partir de 17 heures, vient le début du service des repas au réfectoire. Le Refuge peut servir pour le dîner jusqu’à 600 repas, ça fait beaucoup de monde à encadrer.
Il y a les 360 messieurs hébergés qui prennent leur repas. Plus les personnes, environ 200 chaque soir, qui ne dorment pas au Refuge mais qui, faute de ressources suffisantes, viennent dîner ici. Elles doivent bénéficier d’une carte-repas qui est distribuée chaque lundi au Refuge. Parfois pour certaines personnes de l’extérieur, ce dîner au Refuge c’est leur unique lien avec l’extérieur, leur unique repas de la journée aussi.
Notre rôle au moment du service des repas, c’est de faire en sorte que tout se passe bien, calmement, dans un bon esprit. Les conditions se sont nettement améliorées avec le réfectoire qu’offre le nouveau Refuge. Il y a bien plus de places, les messieurs prennent leur temps pour dîner, ça devient un moment de partage propice à l’échange. Avant ils ne retiraient presque jamais leur manteau pour manger, maintenant ils enlèvent leur manteau et dînent tranquillement…
A 21 heures, les repas sont terminés. Mes collègues et moi commençons à faire notre tournée des chambres. On récupère le linge sale et on distribue le linge propre. Je précise qu’on parle ici du linge « de maison »: les draps, les taies d’oreiller, les serviettes… Les messieurs gèrent eux-mêmes le lavage de leurs vêtements (ndlr: une buanderie ouvrira très prochainement au sein du Refuge pour que les messieurs puissent y laver et y sécher leur linge).
Comment se répartit le travail entre les différents agents d’accueil ?
Le travail se répartit naturellement. Nous pouvons tous exercer le même poste, nous avons appris à développer les mêmes compétences. D’ailleurs nous nous répartissons les rôles de façon équitable. Chacun va un peu à l’accueil, au réfectoire, dans les étages, dans les chambres, etc…
Après bien sûr, chacun exerce son métier à sa façon. Je pense plus particulièrement à la gestion de conflits par exemple. Car nous devons de temps à autre gérer des tensions ou des altercations entre certains. On travaille avec de l’humain… Il faut aussi savoir s’adapter et adapter sa façon de faire au comportement et à la personnalité de celui qu’on a face à soi.
Quelle collaboration y a-t-il entre les agents d’accueil et les autres équipes du Refuge ?
Comme je te le disais, les agents d’accueil travaillent véritablement en lien avec les autres équipes du Refuge. Car on est au cœur de ce qui se passe.
Chaque mardi, il y a une réunion avec la direction et les équipes du Refuge. Un agent d’accueil y est convié et représente l’ensemble des agents d’accueil (ndlr : Le Refuge compte une dizaine d’agents d’accueil qui se relaient de 7 heures à 23 heures). A chaque fois ça tourne, ce n’est pas toujours la même personne qui participe à cette réunion d’établissement.
Et chaque mercredi, on a une réunion d’équipe tous ensemble, c’est-à-dire tous les accueillants, en compagnie d’un travailleur social et d’un encadrant du Refuge.
C’est de cette façon qu’on parvient à discuter et à faire remonter les informations ou les difficultés quand il y en a. On a un rapport particulier avec les messieurs hébergés, un rapport plus intime, plus convivial qui nous apporte d’autres informations… Certaines fois, ça peut aider à comprendre certaines situations.
Ton travail a-t-il changé depuis que Le Refuge a intégré ce nouveau bâtiment ? Si oui, en quoi ?
Oui ces nouveaux locaux ont apporté un changement. C’est très agréable de travailler ici.
Dans l’ancien Refuge, c’était plus compliqué à gérer. Tout était concentré dans de petits espaces. L’accueil en tant que tel était situé juste à côté de l’infirmerie, des escaliers qui menaient aux dortoirs ou au réfectoire… On était dans une promiscuité assez gênante. Ça pouvait créer plus vite des situations violentes.
L’espace qu’offre ce nouveau Refuge rend le dialogue plus aisé.
Avant par exemple, quand on circulait dans les dortoirs, on avait le sentiment d’envahir l’espace intime des messieurs hébergés. C’était aussi inconfortable pour eux que pour nous. Pour aller à la salle télé, il fallait passer par l’espace hygiène. Le bâtiment avait vieilli et n’était plus vraiment adapté aux missions du Refuge. Aujourd’hui c’est bien fait.
Après ça ne signifie pas que le travail était moins intéressant dans l’ancien Refuge. C’était tout aussi enrichissant mais plus fatiguant à cause de cette proximité qu’on subissait en permanence.
Notre façon de travailler s’est transformée avec les nouveaux locaux. On est devenu plus proactif dans la relation avec les messieurs hébergés. On va dans les chambres, on est invité à entrer, on est chez eux et on discute plus facilement parce qu’on est dans leur espace de vie.
Qu’est-ce qui t’intéresse dans le métier d’agent d’accueil ? Qu’est-ce qui t’a conduit à exercer ce métier au Refuge ?
Quand on me pose cette question, je réponds en parlant d’action – réaction. On identifie un problème, on réfléchit en équipe et trouve les moyens de le solutionner. Parfois ça prend quelques minutes, parfois ça prend des jours selon la nature du problème.
On se sent actif, utile. On résout des problèmes et ça permet de faciliter la vie à des personnes en difficulté.
Parfois ça ne demande pas grand-chose : écouter, rendre service, sourire… Ici en tant qu’agent d’accueil, nous avons les moyens d’agir, d’aider quotidiennement des personnes plutôt que de les laisser se débrouiller toutes seules.
Un agent d’accueil est finalement le tout premier contact d’une personne sans-abri accueillie au Refuge. Comment allez-vous au devant des personnes plus en difficulté ?
Dans le quotidien, parce que désormais les messieurs restent au Refuge durant la journée, il faut être observateur. Parfois c’est un regard, un comportement inhabituel, une façon de s’exprimer qui nous fait comprendre que ce monsieur ne va pas bien. On remarque que le monsieur ne se lave plus, devient distant, n’est plus poli…et là on sait que quelque chose ne va pas.
J’en discute avec les travailleurs sociaux et on voit quoi mettre en place pour être plus vigilant envers cette personne : aller lui rendre des visites en chambre, s’installer à table avec lui au moment des repas pour discuter, prendre l’ascenseur avec lui… Au travers de moments informels, on engage des conversations et on essaie de savoir ce qui pose problème. On créé des liens.
Était-ce un choix de travailler dans le secteur social ? Que t’apporte le travail au contact de personnes en difficulté ?
Oui c’était vraiment un choix que de travailler dans l’accueil inconditionnel.
Chaque soir, quand je quitte le Refuge, j’ai gagné quelque chose dans ma journée. Un moment privilégié avec une personne en difficulté, un sourire, un problème résolu, la satisfaction d’avoir agi, le sentiment d’avoir été utile, le bonheur d’avoir côtoyé des personnes différentes…
Mon travail c’est de donner des solutions aux gens, c’est là ma satisfaction. Je suis convaincu du bien-fondé de ce qu’on accomplit ici au Refuge. Et ça motive à faire mieux de jour en jour, à aller encore plus loin pour et avec les messieurs hébergés.
Arrives-tu à tisser des liens privilégiés avec certains messieurs hébergés au Refuge ?
Oui j’ai des relations privilégiées avec certains messieurs. On peut se tutoyer ou discuter plus facilement. C’est un peu comme dans la vie.
Il y a des voisins qui te saluent spontanément et avec qui tu peux discuter, d’autres pas. A la différence que dans une configuration « Refuge », ton rôle est justement d’aller saluer ce voisin que tu ne connais pas et qui ne vient pas vers toi aisément… Ici c’est notre devoir d’aller à la rencontre des personnes hébergées. Souvent parler, ça débloque les choses et ça fait du bien.
Le Refuge accueille des centaines de messieurs, au parcours, à la culture, aux croyances, au passé très hétéroclites. Comment gères-tu toute cette mixité ?
Je n’y pense pas. Je prends la personne telle qu’elle se présente à moi. Si elle est aujourd’hui accueillie au Refuge, c’est qu’il y a une bonne raison. Et donc ma seule préoccupation c’est de savoir comment je peux l’aider.
Selon toi, qu’est-ce qu’un bon agent d’accueil ? Quelles sont les qualités les plus importantes ?
Je crois qu’il faut être avenant, c’est fondamental pour créer du lien avec les messieurs hébergés. Etre à l’écoute également, c’est primordial, ça participe à la construction de la confiance. Etre observateur, savoir repérer que tel ou tel monsieur ne se comporte pas comme d’habitude par exemple et qu’il a peut-être un problème. Savoir prendre des initiatives aussi. Un monsieur qui sent l’urine, il faut savoir se dire que même si ce n’est pas notre rôle, on va aller l’aider à prendre une douche pour que d’autres ne le lui fassent pas remarquer de façon désobligeante… Il faut savoir anticiper et être prévoyant. Sans cela, celui qui en pâtit c’est le monsieur hébergé.
Et je dirais aussi qu’il faut veiller à l’image qu’on renvoie. Ce que je veux dire par là, c’est que je ne me permettrais pas de venir travailler sans être lavé, rasé, habillé proprement. On cherche à tirer des messieurs en difficulté vers le haut, encore faut-il montrer le bon exemple.
Qu’est-ce qui est finalement le plus difficile dans ce métier ?
Le plus dur et on ne s’y habitue jamais, c’est la mort. Le lundi, tu salues un monsieur hébergé au Refuge depuis plusieurs années déjà, et le lendemain, il n’est plus là. Il est décédé dans la nuit.
La mort peut être très brutale pour des personnes qui ont passé des années à vivre, ou plutôt survivre dans la rue (ndlr : l’espérance de vie moyenne d’une personne sans-abri est de 47,6 ans).
On tisse des liens avec les personnes qui vivent et qui passent ici. Alors nécessairement on est touché lorsque certains disparaissent.
C’est dur de devoir faire face à la mort d’une personne. On est humain. On se demande si on n’est pas passé à côté de quelque chose. On se remet en cause.
Qu’est-ce que t’a appris ce métier ?
Tout simplement, je ne savais pas que ça pouvait être aussi simple de venir en aide à quelqu’un. Avec des petits riens, on peut faire beaucoup. Il suffit parfois de sourire, d’écouter, de regarder…
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