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Rencontre avec Jean-Eric, médecin bénévole auprès des sans-abri accueillis au Refuge

Pôle Santé de La Mie de Pain

Jean-Eric est médecin-bénévole au Refuge de La Mie de Pain. A 70 ans, il est aujourd’hui retraité après une longue carrière au sein de l’industrie pharmaceutique, mais poursuit activement son engagement auprès des plus démunis. Il donne de son temps, de son énergie, de son expérience pour construire un véritable Pôle Santé au sein du centre d’hébergement et améliorer ainsi la prise en charge des plus vulnérables. 

 

Pôle Santé de La Mie de Pain

Jean-Eric, médecin-bénévole se prête au jeu de l’interview

Comment avez-vous connu La Mie de Pain ? Qu’est-ce qui vous a motivé à venir y faire du bénévolat ?

A l’époque où je travaillais chez Sanofi, il y avait des relations très importantes entre  La Mie de Pain et cette société qui fournissait gratuitement des médicaments et du matériel à l’association, mettait du personnel bénévole à disposition – médecins, infirmiers. C’est par ce biais que j’ai connu La Mie de Pain et que je suis venu y faire du bénévolat.

Je me suis rendu compte des besoins des personnes sans-abri. En tant que médecin, je pouvais aider, et ça m’a persuadé de rester toutes ces années.

 

Comment définiriez-vous votre rôle ?

Pour moi, l’objectif principal est de remettre les personnes en grande précarité qui viennent consulter, dans des circuits de santé que je qualifierais de « normaux ». En aucun cas, je ne cherche à me substituer à un médecin-traitant. On rencontre ici des personnes qui ont passé des années à la rue, qui ont perdu tout contact avec le système de santé, qui n’ont pas vu de médecin depuis des mois voire des années. Je souhaite les aider à rejoindre un circuit de santé « normal » : retrouver un médecin-traitant, faire des radios, un bilan de santé… Cela participe à l’autonomie des personnes. Les bénéficiaires du Refuge ne sont pas appelés à rester ici, on l’espère, indéfiniment. Il faut reconstruire les relations avec l’extérieur.

 

Depuis combien de temps exercez-vous votre profession de médecin bénévolement au Refuge ?

Cela fait 15 ans que je viens faire du bénévolat à La Mie de Pain. Avec mes confrères Philippe et Luc, nous sommes trois médecins-bénévoles, les plus anciens, dans ce cas. Depuis, l’équipe a été renforcée par d’autres bénévoles, médecins également. Nous sommes aujourd’hui une équipe d’une quinzaine de médecins.

 

Chacun vient 2 à 3 fois par mois. Le planning des consultations est bien établi. Il y a des consultations libres, sans rendez-vous, tous les jours en semaine de 17h à 20h ainsi qu’une consultation libre le lundi après-midi. Nous sommes aussi présents à l’accueil de jour de La Mie de Pain, l’Arche d’Avenirs, tous les vendredis après-midi. Les consultations sont ouvertes à toutes les personnes qui fréquentent les deux établissements et sont bien sûr gratuites.

 

Pôle Santé de La Mie de Pain

Philippe, médecin-bénévole, reçoit un patient


Les personnes se présentent à vous spontanément ou bien sont-elles repérées et orientées jusqu’à vous par les travailleurs sociaux par exemple ?

Les personnes qui viennent en consultation peuvent le faire de façon spontanée ou bien être incitées à venir par le biais des travailleurs sociaux. Après la première consultation, elles reviennent toujours vers nous de leur propre initiative et le font très facilement. En général, après ce premier contact, nous entretenons de très bons rapports avec les personnes accueillies au Refuge ou à l’Arche d’Avenirs.

 

Quelles pathologies rencontrez-vous parmi la population SDF ?

On soigne un peu de tout au Refuge. En ce moment, plein hiver, on soigne comme un peu partout des bronchites, des toux, des infections des voies aériennes, etc… Même s’il faut souligner qu’avec le nouveau Refuge, qui ne remet plus les gens à la rue le matin, ces pathologies ont bien diminué.

 

On rencontre également un grand nombre de problèmes dermatologiques. Les personnes qui ont passé des années dehors ont d’importants problèmes de peaux. Elles souffrent aussi de problèmes de pieds, après avoir connu bien souvent de longues périodes d’errance. Enfin, il y a des personnes qu’on suit très régulièrement car elles souffrent d’hypertension, de diabète, d’épilepsie, avec des problèmes psychiatriques et d’addiction associés. On s’assure qu’elles prennent leur traitement correctement, on peut être amené à le renouveler ou à préparer les piluliers.

 

Autrement, c’est notable depuis quelques années, on est face à une population souvent vieillissante qui souffre de problèmes médicaux très importants et qui nécessite un lourd accompagnement. Il peut s’agir de personnes avec des insuffisances cardiaques, des problèmes respiratoires, des handicaps, des problèmes psychiatriques…

 

Pôle Santé de La Mie de Pain

Toumicha, aide-soignante s’occupe d’un patient

Comment s’organise le Pôle Santé aujourd’hui ? Comment travaillez-vous avec les autres médecins-bénévoles, les aides-soignantes, les travailleurs sociaux ?

Le travail en commun n’est pas toujours évident car il y a des salariés et des bénévoles au sein du Pôle Santé. La fréquence et le temps de nos présences sont assez différents. Ça n’empêche pas une bonne communication entre les équipes.

 

On essaie de créer des occasions de passer du temps ensemble. Par exemple, on tient tous les mois une réunion « Pôle Santé » avec l’ensemble des personnes qui y intervient, et avec la direction du Refuge. On a établi des plannings précis, des procédures (la conduite à tenir en cas d’urgence par exemple), lancé de nouveaux projets, etc.

 

Le suivi des patients est par contre une chose complètement partagée par tous : médecins-bénévoles, aides-soignantes, direction… Tout est informatisé. Ainsi si un patient que j’ai déjà rencontré se présente la fois suivante à un autre médecin, on connaît l’historique des consultations. On peut aussi par ce biais signaler des situations difficiles à l’équipe des travailleurs sociaux, à la direction et aux aides-soignantes évidemment.

Comment travaillez-vous avec les hôpitaux ou les centres de santé ? Plus généralement, quelle collaboration entretenez-vous avec le système de santé ?

On essaye de partager des informations, de faire savoir ce qui se passe dans les centres d’hébergement et pour les personnes sans-abri. On entretient des liens avec l’extérieur : les hôpitaux, des Centres de Santé, le Samu Social, les professionnels de santé. Mais c’est souvent difficile.

Même si certaines personnes hébergées au Refuge relèvent davantage d’un suivi à l’hôpital ou en centre médicalisé, c’est souvent impossible car aujourd’hui il y a un vrai problème de places. Il n’y a pas de lits disponibles dans les hôpitaux. Les personnes sont gardées 2 à 3 jours, puis sont renvoyées d’où elles viennent. Au mieux d’un centre d’hébergement, au pire dans la rue. On peut même voir des personnes en chaise roulante renvoyées dans la rue ! C’est ainsi que certains hébergés du Refuge font la navette entre l’hôpital et le centre, et pour ceux-là, c’est très compliqué.

 

Pôle Santé de La Mie de Pain

Le Pôle-Santé est ouvert chaque jour de semaine et permet 5000 consultations par an

Quel regard portez-vous sur la prise en charge de la santé des personnes à la rue ? Que faudrait-il améliorer et comment ?

Il faudrait plus de places dans des structures adaptées aux pathologies, aux handicaps, à l’âge avancé de certains sans-abri. Prenons l’exemple du monsieur que j’ai vu ce matin. Il a 75 ans et souffre d’insuffisance cardiaque et d’insuffisance respiratoire. Sa place serait plutôt dans un EHPAD ou dans une maison de retraite. S’il suit son traitement à la lettre, il va plutôt bien. Mais pour ça, il faut que l’établissement qui l’accueille dispose d’une infirmière ou d’une aide-soignante en permanence qui va l’aider à suivre son traitement. Ici c’est impossible car le Refuge est un centre d’hébergement et non pas une clinique. Ce monsieur se trouve ici faute de mieux. Autrement, il serait dans la rue.

 

Je fais du bénévolat dans différents centres d’accueil pour SDF. Je vois bien que certains vont de centre en centre sans véritable solution autre que les structures d’hébergement d’urgence. Il y a des gens à la rue que je connais depuis 10 ou 12 ans. Les associations telles que La Mie de Pain leur permettent de se maintenir mais pas forcément de s’en sortir définitivement. Ce n’est qu’en créant des solutions adaptées aux profils des personnes à la rue qu’on parviendra à aider les sans-abri.

 

Pôle Santé de La Mie de Pain

Philippe, médecin-bénévole, est présent chaque mardi de 17h à 20h pour apporter son aide

Un article du Monde soutenait que le problème majeur des SDF n’est ni le froid, ni une mauvaise alimentation, mais une mauvaise hygiène engendrant de nombreuses maladies encore plus importantes en été qu’en hiver. Les SDF abandonneraient ainsi leur corps. Qu’en pensez-vous ?

Oui, c’est tout à fait vrai. Cela correspond davantage à celui qu’on appelait il y a encore quelques années « le clochard ». Une personne qui n’a plus aucune hygiène, qui est comme sortie de son corps. Très souvent, elle vit dans l’alcoolisme, s’alimente peu ou très mal. Et c’est certain qu’une pathologie même bénigne devient alors beaucoup plus grave dans ces circonstances, chez ces personnes fragilisées.

Aujourd’hui au nouveau Refuge, on rencontre bien moins souvent ce profil. Avoir une bonne hygiène fait partie du respect de soi, de l’autre et des lieux que l’on demande aux usagers. De façon globale, il y a ici un bon rapport à l’hygiène parmi les personnes accueillies.

 

Comment le Pôle Santé se fournit en médicaments ?

Il y a toujours eu des formes de partenariat qui ont permis à La Mie de Pain d’obtenir des médicaments gratuitement. Aujourd’hui, on travaille avec une association de pharmaciens à qui on passe commande chaque trimestre et qui nous fournit l’ensemble des médicaments gracieusement. Sauf pour des médicaments très spécifiques bien sûr et qui nécessitent que le traitement soit suivi par un médecin traitant hors de La Mie de Pain.

 

De quoi a besoin aujourd’hui le Pôle Santé du Refuge pour fonctionner encore mieux ?

Le Pôle Santé est soutenu par plusieurs professionnels de la santé, qui sont bénévoles bien entendu. C’est ainsi qu’on peut proposer des consultations avec un psychiatre, un podologue, un kinésithérapeute, un ophtalmologue très bientôt.

Mais bien sûr, le Pôle Santé ne fonctionne que grâce aux dons. On ne refuse personne, si bien qu’on réalise plus de 5000 consultations en moyenne dans l’année. Pourtant La Mie de Pain ne reçoit aucune subvention pour ce service proposé aux personnes sans-abri, alors que c’est un vrai plus.

On est intéressé par des dons financiers bien sûr, mais aussi par des dons en nature. Pour récupérer du matériel médical par exemple. Nos besoins sont multiples et importants : ils vont de la compresse à la table d’auscultation. Toute forme d’aide est et sera toujours la bienvenue !

 

 

Nous laissons Jean-Eric reprendre ses activités de médecin-bénévole. C’est lundi. Un nouveau patient attend son tour dans la salle d’attente. « Le lundi est toujours la journée la plus chargée, retour de weekend… » confie Jean-Eric dans un sourire.

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