Nous avons interviewé Gwenaëlle et Noëmie, toutes deux travailleuses sociales au Refuge de La Mie de Pain depuis 2011.
Elles nous éclairent sur un métier et un rôle précieux pour aider et guider les bénéficiaires du Refuge vers l’insertion. A l’écoute des besoins des personnes, elles permettent de faire émerger les projets de vie des personnes tout en les accompagnant dans leur accès aux droits, à l’emploi, au logement et à la santé.
Vous êtes travailleuses sociales au Refuge de La Mie de Pain. Pouvez-vous me dire ce que recouvrent vos postes précisément ? Comment définiriez-vous vos rôles ?
Gwenaëlle :
Sous le terme de travailleur social, se déclinent différents métiers. Les travailleurs sociaux du Refuge arrivent tous d’horizons et de parcours différents, mais nous partageons des missions et des fonctions communes.
Au sein des travailleurs sociaux, on peut néanmoins distinguer d’un côté, les référents sociaux en charge des différents suivis et accompagnements auprès des messieurs hébergés au Refuge, et de l’autre les monitrices-éducatrices qui appuient d’une certaine façon le travail des référents sociaux par la mise en place d’animations, d’activités, de sorties. Elles apportent aussi un accompagnement dans la vie quotidienne.
Noëmie et moi faisons partie des référents sociaux. On est chargé d’un certain nombre de suivis (environ 50 personnes suivies par un référent). Notre rôle est d’aider les personnes à accéder aux droits sociaux, à la santé, au logement et à l’emploi. C’est aussi de les aider à faire émerger leur projet de vie.
50 personnes suivies par un seul référent social, ça semble beaucoup. Avec quelle fréquence rencontrez-vous ces personnes ?
Noëmie :
Ça dépend vraiment des personnes suivies. Il y a certaines personnes que l’on ne rencontre qu’une fois par mois, d’autres qu’on peut rencontrer une fois par jour. C’est très variable, c’est selon la situation de la personne, ses besoins, là où elle en est dans son parcours d’insertion.
Gwenaëlle :
Certains ne viennent pas nous voir spontanément, mais notre rôle est aussi d’aller au devant de ces personnes et de faire en sorte de les rencontrer.
Comment vous est venue l’envie d’être travailleuse sociale ?
Noëmie :
Pour ma part, je faisais autre chose au départ. J’étais médiatrice familiale. J’ai fait ça pendant 2 ans.
Mais l’opportunité de travailler auprès de personnes défavorisées s’est présentée et je l’ai saisie. J’ai occupé un premier poste en Bretagne, puis j’ai poursuivi un parcours professionnel dans cette voie à Paris et j’ai pris ce poste de travailleuse sociale au Refuge de La Mie de Pain il y a 2 ans et demi.
Gwenaëlle :
Je partais dans une voie totalement différente lorsque je préparais mes études. Mais chemin faisant, je me suis éloignée de ces premiers projets et j’ai découvert le métier d’assistance sociale. De prime d’abord c’était un métier qui me plaisait bien. Ce que ce métier recouvrait me parlait beaucoup. Mais il y avait tout de même une forme d’inconnu dans ce choix.
Ça fait maintenant 14 ans que je travaille dans le domaine de l’accompagnement social. J’ai choisi ce métier pour la pluralité des publics et des missions que l’on peut y rencontrer.
Aviez-vous déjà exercé auprès de personnes sans-abri avant de travailler au Refuge ? Quels autres publics aviez-vous déjà rencontrés ?
Noëmie :
Avant d’arriver au Refuge, j’avais déjà travaillé auprès de personnes à la rue. C’est d’ailleurs cette première expérience qui m’a entraînée à poursuivre dans cette voie. Mais ça n’avait absolument rien de comparable avec Le Refuge, c’était un petit foyer d’hébergement d’urgence qui accueillait 10 personnes alors qu’on en accueille jusqu’à 360 ici.
Gwenaëlle :
Je ne connaissais que très peu le public sans-abri avant de commencer à fréquenter Le Refuge. C’est ici à La Mie de Pain que j’ai appris à connaître les personnes en situation de précarité.
Avant cela, j’avais travaillé en milieu hospitalier, au service social de la CRAM (Caisse régionale d’assurance maladie) auprès de personnes en arrêt de travail, en reclassement professionnel, accidentées du travail. J’avais également travaillé auprès de personnes âgées.
Était-ce un choix de travailler dans le secteur social et plus particulièrement auprès des personnes démunies ?
Noëmie :
En ce qui me concerne, oui je désirais vraiment travailler auprès de personnes à la rue. Quand je me suis mise à la recherche d’un nouvel emploi, j’ai ciblé toutes les associations qui pouvaient accueillir des personnes sans-abri.
Gwenaëlle :
Pour moi ce n’est pas tout à fait vrai. Je n’ai pas véritablement cherché un emploi auprès des personnes sans-abri. Ce sont plutôt les projets du Refuge qui m’ont plu.
J’avoue même que j’étais très impressionnée à l’idée de travailler dans un établissement qui accueille plus de 300 messieurs sans-abri. C’est assez rare de rencontrer des structures qui hébergent autant de personnes. Les effectifs sont plus réduits en général.
Que vous apporte le travail au contact de personnes démunies ?
Noëmie :
Ça apporte une certaine richesse car on est confronté à des histoires et des parcours de vie si variés.
Ce nombre important de messieurs accueillis au Refuge a un impact sur votre travail ou sur la façon dont vous l’exercez ?
Noëmie :
Oui bien sûr. On assure chacun 50 suivis, c’est élevé. Il faut savoir véritablement organiser son travail et gérer des priorités. Le problème c’est qu’avec autant de suivis, on est contraint d’aller vite sur certains sujets. Heureusement, il est prévu de renforcer les équipes de travailleurs sociaux rapidement.
Vous accompagnez exclusivement des messieurs hébergés au Refuge. Est-ce vous qui prenez contact avec eux ou eux qui viennent à vous ? Comment se passe une première rencontre avec un hébergé ?
Noëmie :
Tous les messieurs hébergés au Refuge doivent être suivis et accompagnés par un travailleur social du Refuge. Ça fait partie du « contrat de séjour ».
Lors d’une première rencontre, pour ce qui me concerne, il s’agit de faire connaissance avec la personne suivie. Je leur explique ce que je fais, quel sera mon rôle auprès d’elle. On discute, les informations viennent au fil de l’eau. Certains vont nous raconter spontanément leur histoire dès ce premier échange, d’autres le feront plus tard.
Gwenaëlle :
Pour ma part, je ne laisse pas trop de place à cette « histoire » lors du premier entretien. Je préfère balayer leur situation de façon assez large en me basant sur l’aspect administratif, sur des éléments simples. De ces éléments émerge doucement leur histoire. Par exemple, je vais observer que le dossier du monsieur avec qui je suis en entretien comprend un jugement de divorce, alors je vais l’interroger sur sa situation familiale actuelle, s’il a des enfants ou non, s’il continue de les voir, s’il souhaiterait les revoir, etc…
Mais la façon dont on procède pour accompagner une personne dépend nécessairement du profil de la personne.
Vous fixez-vous des objectifs à atteindre en termes d’accompagnement social ?
Gwenaëlle :
L’un des premiers objectifs est de permettre à ces personnes d’accéder à ce qu’on appelle les droits sociaux (Revenu de Solidarité Active, Couverture Maladie Universelle, Aide Médicale d’Etat…) C’est la base. Une fois que les droits sociaux sont ouverts, on peut par exemple les orienter vers des structures d’accès aux soins si besoin, faire des démarches vers l’accès au logement.
Noëmie :
Mais avant de parler d’ouverture des droits sociaux qui est en effet la base, il faut avoir récupéré les pièces d’identité de la personne suivie. Il faut qu’on puisse savoir qui elles sont. Certaines personnes arrivent ici sans rien, sans un seul papier. Des fois, on se retrouve face à de vraies énigmes. On a un seul document pour comprendre et remonter tout un parcours de vie… Ça peut prendre énormément de temps.
Entretenez-vous des relations avec les travailleurs sociaux qui ont suivi la personne en question dans le passé ?
Noëmie :
Oui évidemment, on cherche à contacter ces référents sociaux en général, en ayant pris le temps d’en parler avec la personne suivie au préalable.
Comment vous répartissez-vous le suivi des hébergés avec vos autres collègues ?
On a les noms de toutes les personnes accueillies ici, et de façon aléatoire, les travailleurs sociaux se voient attribuer le suivi de telle ou telle personne. On fait un point régulièrement entre travailleurs sociaux pour savoir à peu près combien de messieurs chacun suit. Celui ou celle qui suit un peu moins de personnes (car les personnes qu’il/elle suivait ont été relogées par exemple) prendra le suivi des nouveaux arrivants, etc. Ce travail se fait assez simplement et naturellement.
Noëmie :
On peut aussi se transférer des dossiers entre travailleurs sociaux lorsqu’on a à faire à des situations compliquées. Parfois pour faire avancer le dossier d’un monsieur, la meilleure chose à faire reste encore de changer de référent social. Dans notre travail, les relations entre l’usager et le référent social jouent énormément.
Gwenaëlle :
La psychologue peut aussi intervenir auprès des personnes que nous suivons. Dans le travail d’accompagnement, son rôle peut s’avérer très utile. On peut faire appel à elle si on sent qu’il y a certains blocages chez la personne suivie ou bien si tout simplement la personne en ressent le besoin et nous en fait part.
Qu’est ce qui vous plaît le plus dans votre profession ?
Noëmie :
Sans hésitation, ce qui me plaît plus dans ce métier, c’est la rencontre et l’échange avec les personnes suivies.
Gwenaëlle :
Oui c’est aussi ce qui me plaît le plus. Par ailleurs, on a la chance d’exercer un métier qui ne connaît pas la routine. Tu sais comment tu vas commencer ta journée, mais tu ignores comment tu vas la terminer et ce qui va se passer entre deux. Il y a bien des plannings dans le service mais il ne faut pas trop s’y fier… (rires) Même si ce n’est pas toujours évident car ce genre de rythme de travail nous conduit à être un peu sur tous les fronts. Ici au Refuge et dans nos métiers en particulier, il n’y a pas de temps morts.
A contrario, quelles sont les difficultés que vous rencontrez ? Connaissez-vous parfois des formes d’échec concernant les suivis des personnes ?
Noëmie :
Rencontrer des formes d’échec, ça arrive bien sûr. Rien que concernant des demandes d’ordre administratif par exemple. On y travaille parfois pendant des mois et des mois. Et au bout du compte, la réponse est négative… Mais je ne dirais pas nécessairement que c’est difficile puisque ça fait partie de notre travail, et on le sait.
Gwenaëlle :
Je ne parlerais pas d’échec car ça fait partie du « processus » que de se heurter à certaines difficultés.
Tout comme certaines fois, il peut m’arriver de suivre un monsieur depuis des mois et de me rendre compte que malheureusement, on n’avance pas car la relation entre lui et moi ne se fait pas. Du coup, je vais choisir de passer le relai à un collègue qui y arrivera peut-être mieux. Et bien, je ne vais pas considérer les mois passés avec lui comme un échec en soi. Etre confrontée à certaines difficultés fait partie du travail d’accompagnement social.
Noëmie :
Ce qui est plus difficile et fatiguant aussi, c’est davantage la lourdeur de la machine administrative. Tous les papiers qui doivent être complétés, signés, envoyés, qui nous reviennent parce qu’un justificatif manque ou pour lequel le formulaire a une nouvelle fois changé, etc…
Gwenaëlle :
Oui, on perd pas mal de temps dans un travail administratif, pas le côté le plus passionnant de notre métier mais en même temps, c’est un passage obligé.
Le rôle du travailleur social auprès des personnes aidées a-t-il évolué au cours des années ? J’ai lu que traditionnellement le travailleur social permettait de prendre en charge une personne en difficulté tandis qu’aujourd’hui il est dans l’accompagnement des personnes en difficulté. Est-ce une observation que vous partagez ?
Je crois que la façon d’envisager le métier de travailleur social peut être assez variée. Ça dépend vraiment de la structure, du projet d’établissement, des valeurs, de la formation du travailleur social et de ses expériences…
Je pense que de toute façon, même entre nous ici au Refuge, on ne serait pas tous d’accord et on ne te ferait pas une réponse unanime. On a des formations et des expériences différentes et on agit selon cela.
Gwenaëlle :
C’est vrai que ça dépend, qu’il y a plein de paramètres qui entrent en jeu. Aujourd’hui on essaie tout de même d’être plus dans l’accompagnement que dans la prise en charge.
On essaie de toujours partir des besoins de la personne pour proposer un accompagnement adapté. Tout en sachant que des marches en arrière sont possibles car il y a parfois des écarts entre ce que la personne suivie souhaite, ce dont on pense qu’elle a besoin et la réalité. Ça n’avance pas toujours aussi vite ou aussi facilement que ce qu’on espérait, particulièrement lorsqu’on accompagne des personnes en précarité… Dans l’accompagnement social, il y a toujours cette idée de mouvement en avant ou en arrière. Ce n’est pas linéaire.
On entend régulièrement des critiques vis-à-vis de ce qu’on nomme péjorativement l’assistanat: excès d’une solidarité contrainte imposée par l’État et financée par les contribuables, solidarité perverse car n’incitant pas les bénéficiaires à améliorer leur situation par eux-mêmes… Vous qui êtes au cœur des dispositifs d’aides sociales, quel regard portez-vous sur ce genre de critiques ?
Gwenaëlle :
A mon sens, le terme assistanat c’est celui qu’on souhaite médiatiser et faire passer.
Le système administratif français n’est pas simple et n’est pas rendu simple. S’il te manque parfois des outils basiques comme le téléphone ou Internet par exemple, tu peux difficilement faire des démarches administratives. C’est un système déjà complexe pour nous qui sommes des professionnels du secteur social. Pour des personnes en situation de précarité, ça l’est encore davantage.
A mes yeux, on est loin de l’assistanat. Pour gravir les premières marches de l’accès au droit, c’est souvent le parcours du combattant. Les personnes doivent être volontaires.
Noëmie :
Certaines fois, rien que pour prendre un rendez-vous chez le coiffeur dans une structure associative par exemple, le bénéficiaire doit obligatoirement passer par l’intermédiaire de son référent social. Alors que cette personne est entièrement capable de téléphoner elle-même et d’arrêter un rendez-vous elle-même. Mais le système veut que ce soit le référent social qui téléphone. Du coup, ça renforce ce qu’on peut appeler de l’assistanat alors que c’est inutile.
Certaines choses mises en place ne favorisent pas l’autonomie des personnes.
Le Refuge héberge aujourd’hui jusqu’à 360 personnes. Arrivez-vous à tisser des liens privilégiés avec certains d’entre eux ?
Nécessairement on tisse plus de liens avec certains parce qu’on les croise davantage, parce qu’ils nous sollicitent plus, parce que le contact est plus facile… Mais les relations que nous entretenons avec les messieurs hébergés au Refuge restent professionnelles.
Gwenaëlle :
Ça ne signifie pas qu’on ne mette aucune empathie, aucun affect dans les relations avec les usagers. On ne te dira pas qu’on n’est pas touché par certaines situations ou certaines histoires…
Noëmie :
Heureusement, sinon il faudrait tout de suite arrêter ce métier ! On est une équipe et ça permet d’échanger, de se libérer quand c’est nécessaire.
Qu’est-ce que vous a appris ce métier ? Est-ce que travailler au contact de personnes démunies vous a appris certaines choses particulières ?
Noëmie :
Je pense qu’au contact de n’importe quel public, on change, on évolue. J’étais assez surprise par le profil des personnes hébergées au Refuge. On est loin du cliché du « clochard ». Il y a des personnes ici qui travaillent par exemple, des travailleurs pauvres. Il y a aussi tous ceux qui pourraient être totalement autonomes et sortis du Refuge, mais qui sont bloqués ici à cause de papiers qui leur font défaut.
Gwenaëlle :
Quand j’ai commencé à travailler au Refuge, j’avais tout de même beaucoup de représentations. J’imaginais qu’au milieu de plus de 360 messieurs sans-abri, j’allai arriver dans un contexte de violence, que ça risquait d’être difficile. J’avoue que je m’étais complètement trompée.
Ce travail au Refuge a complètement cassé les représentations que je pouvais avoir sur la population à la rue.
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